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Pourquoi je fais des lampes: l’ombre et la lumière.

Quand exactement je ne sais pas très bien, sans doute étais-je déjà adulte et en archi, mais je me souviens que je me sentais très oppressée lorsque je me trouvais dans une pièce fermée et trop éclairée. C’était la mode des « halogènes » ces affreuses lampes sur un long pied supportant une soucoupe qui éclairaient le plafond et par reflet plongeaient la pièce dans une lumière blafarde et uniforme. Je me sentais prisonnière, à la merci des autres, je commençais alors à avoir trop chaud et je n’avais qu’une envie c’est sortir de la pièce, sauf que si je sortais on me remarquait encore plus, un cercle vicieux en somme. Je voulais disparaitre, je voulais des zones d’ombres, je voulais pouvoir m’échapper.

Les fameuses « halogènes » ne donnaient pas ces zones d’ombres mystérieuses qui font que par contraste les endroits éclairés sont plus beaux, ces zones qui font que le monde est à découvrir.  

La lumière n’est belle que si elle offre des zones d’ombres. Il y a un très beau livre japonais qui s’appelle « L’éloge de l’ombre » de Junichiro Tanizaki mais je ne l’avais pas encore lu. En tous cas ces moments pénibles que je vivais m’ont mené petit à petit à fabriquer des lampes, pour pallier à cette lumière affreuse que je voyais partout.

Photo Sophie Pascal

Jalonnant mon parcours, les rencontres avec des œuvres et des designers ont alimenté mes envies, mon imagination et mes fantasmes : Boltanski et ses installations pleine de pénombres et de souvenirs, James Turrell et ses lumières venant de nulle part, complètement immatérielles, à l’inverse de celle de Boltanski, puis Ingo Mauer « le » designer de lampes, un allemand génial, et aussi Nogushi et ses lampes en papier.

Aussi, il y a eu les rencontres avec les ateliers, et avec la matière : celui de mon père, à Villebrumier, avec lequel je me battais car je lui « piquais » ses outils, ses matériaux, sa place en somme, celui de mon école d’archi mais surtout celui de Georgia Tech à Atlanta. Il y avait des « workshops » dans l’université, à Georgia Tech et on pouvait fabriquer ce qu’on voulait, même si j’avais déjà commencé à utiliser des matériaux de récupération que j’assemblais très simplement et rapidement avec des loupiottes.

photo Théo Bellanger

Toutes les ampoules simili anciennes qui sont maintenant en vente chez Leroy-merlin, existaient en version « originale » dans les années 90, des ampoules à filament de carbone qui donnaient une lumière très douce et chaude et c’est celles-là que j’utilisais le plus régulièrement.

A Paris après les États-Unis, j’ai suivi quelques cours aux arts déco, et une de mes lampes a été éditée. Puis une autre, en « résine » c’était la mode, mais dès que mes lampes étaient faites « en série », même minuscules, elles perdaient leur âme. Il fallait que je les fabrique moi-même pour qu’elles soient belles. Même après une certaine expo alors qu’on me demandait de refaire « les mêmes », alors qu’on voulait m’acheter leur « design », mais ils n’avaient donc rien compris ! Alors je suis restée fidèle à moi-même, à côtoyer l’ombre à côté de la lumière.

Je ne suis pas capable de faire deux fois la même chose, c’est impossible. Ce qui m’intéresse c’est la surprise la nouveauté, l’accident, celui qui fait que l’objet fabriqué est original, unique et qu’il a une âme. Un objet industriel peut être beau, on peut se l’approprier, mais il n’a pas le statut d’œuvre d’art. C’est là toute la différence. Il peut peut-être le devenir lorsqu’il n’est plus fabriqué en série, qu’il n’en reste que quelques-uns, qu’il a appartenu à untel, ou à l’histoire, et là se vendre des sommes faramineuses juste pour ça. Comme les meubles des designers des années 50 par exemple. Mais au départ, l’objet industriel n’a pas la même âme que l’objet unique, même si cet objet est une lampe, un objet qui éclaire et a donc une fonction, mais surtout un objet qui préserve l’ombre et le mystère.

Quant aux matériaux que j’emploie ils participent aussi de cette envie de « mettre en lumière » ce qui est généralement mis au rebus, laissé dans l’ombre, oublié, dans un monde où l’on est submergés d’objets manufacturés.

Ce sont ces choses-là, qui ne servent plus qui justement me parlent. Pas n’importe lesquelles quand même, il faut choisir. Ces choses-là qui restent si elles réussissent à survivre en beauté et à émerger de la marée d’ordure que nous créons c’est qu’elles sont précieuses. Je fais feu de beaucoup de bois, le moindre bout de métal qui me plait je le ramasse, je le trimballe. Certains de ces matériaux, de ces objets ont traversé la France plusieurs fois, en voiture, dans les camions des déménageurs, certains ont été portés sur le porte bagage de mes vélos, ou sur mes épaules, quand du trottoir, du no man’s land, de l’usine abandonnée, je devais les apporter à mon atelier, ma cave, ou mon appartement dépendant de l’époque. Parfois, souvent même, Il me faut beaucoup de temps avant de les utiliser et je dois les apprivoiser longtemps, accrochés au mur ou sur une étagère, il faut que je m’habitue à eux.

Photo Eloïse
photo Théo Bellanger

Certains de ces morceaux appartiennent souvent aux diverses maisons où j’ai vécu. Ils ont tous une histoire que je pourrais décrire précisément. Chaque lampe à donc des d’histoires, qui en fabriquent une nouvelle : comme les mots qui font la poésie, mes lampes, assemblage de petits morceaux de vie, racontent ma vision du monde.      

Photo Anna Vivante
photo Sophie Pascal

Junichiro Tanizaki: «….Un laque décoré à la poudre d’or n’est pas fait pour être embrassé d’un seul coup d’œil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l’un ou l’autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l’ombre, il suscite des résonances inexprimables.
De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l’agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d’air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l’homme à la rêverie. N’étaient les objets de laque dans l’espace ombreux, ce monde de rêve à l’incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr une bonne part de leur fascination. Ainsi que de minces filets d’eau courant sur les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont captés, l’un ici, l’autre là, puis se propagent ténus, incertains et scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins à la poudre d’or…. »

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